Causerie du
jeudi 21 janvier 2010présentée par Mme
Marie RouzeauPrésentation de la causerieAu moment où nous redécouvrons le site archéologique en 1966 mon mari et moi même, l'urbanisation de la pointe de Penchâteau (Le Pouliguen) est déjà entamée depuis longtemps, le long de la route cotière. Des champs occupent les terrains à l'arrière. Certains sont cultivés. Un large chemin en terre, le chemin du roy, conduit de la pointe vers le bourg de Batz. Il paraît ancien et traverse la campagne qui existe encore et des hameaux.
Les recherches commencent donc en 1966, un peu par hasard, car nous avons été, chacun de notre coté,déjà sensibilisés par l'archéologie.
Maurice Rouzeau s'est formé sur le chantier de fouille néolithique, dirigé par Gabriel Bellancourt en Brière. Bénévole mais compétent, cet ingénieur nantais a reçu l'autorisation officielle du Service Archéologique alors installé à Rennes pour 7 départements de l'ouest.
Marie Rouzeau a pris beaucoup d'intérêt à l'enseignement d'André Chastagnol, professeur d'épigraphie latine à l'Université de Rennes en 1961 et, surtout en 1963, à celui de François Villard, archéologue du vieux port de Marseille et d'autres sites en Corse et en Sicile, également professeur à Rennes. Ce dernier présentait à ses étudiants des caisses d'objets recueillis sur ces sites. Il accompagnait le commentaire de plans, de coupes.
Nous avons l'habitude d'observer le sol au cours de nos promenades et de collecter ce qui paraît interessant : une poterie noire, assez grossière mais assez homogène, attire notre attention. Après ces collectes, les recherches officiellement autorisées commencent en 1975... Toutes seront faites bénévolement. Marie Rouzeau a appris à lire le sol en étudiant la géomorphologie. En 1967 et 1968 elle a déjà conduit desrecherches à La Turballe sur un site qui s'avère médiéval puis , en 1973 et 1975, à Guérande sur une site d'habitat néolithique à Sandun.
Une prise de conscience
Avant d'arriver à ces premières recherches de 1975, revenons au Pouliguen en 1967. Le collège vient de s'ouvrir et Marcel baudry président du cercle celtique, souhaite une participation de l'établissement à une exposition sur "le vieux Pouliguen". Nous lui proposons des poteries collectées à la pointe sud de la commune. Elles agissent comme "la madeleine de Proust" et plusieurs pouliguennais se remémorent leurs souvenirs d'avant la seconde guerre mondiale quand de forts talus barraient la pointe au point qu'il était difficile pour un cheval tirant une carriole de les franchir. On nous raconte que les jeunes garçons y jouaient à la guerre et on nous apporte une copie ancienne du premier plan cadastral qui a enregistré dans le parcellaire rural la trace de ces talus.
Un dimanche gris, nous décidons d'examiner le terrain et de vérifier les reliefs proches de la pointe. Et c'est la première prise de conscience que la la large levée de terre qui barre encore la pointe doit être artificielle car elle ne peut s'expliquer par aucun accident naturel du terrain.
Durant les vacances d'étéde 1974 un jeune du groupe archéologique du collège du Pouliguen fouille sur le chantier dirigé par Pierre-Roland Giot lui-même. C'est le responsable de l'administration de l'archéologie des 7 départements de l'ouest. En bavardant avec son fouilleur novice, il lui apprend qu'un camp de l'age du fer existe à La Baule. Ensemble nous recherchons le camp du coté de Beslon et du coteau d'Esconblac. Rien ! Peu à peu germe l'idée que ce camp de l'age du fer et le site de Penchâteau ne font qu'un.
Pendant tout ce temps, l'administration de l'archéologie évolue en France. En 1969 Nantes devient le centre d'un nouveau territoire archéologique en partie détaché de Rennes et Jean l'Helgouac'h est nommé sur le poste de directeur de l'archéologie préhistorique nouvellement crée. le site de la pointe du pouliguen est-il le camp de l'age du fer évoqué par le professeur Giot ? La question lui est posée. Il accompagne sa réponse affirmative d'une description faite avant la guerre par un célèbre archéologue anglais Sir Mortimer Wheeler mais publiée tardivement. Giot est assez pessimiste et nous le sommes aussi. Il doute que l'on puisse sauver le dernier vestige, hélas. En effet durant l'occupation, la pointe fortifiée a eu son aspect bouleversé par le mur de l'atlantique.
Les premiers travaux archéologiques
La commune du Pouliguen s'occupe de l'assainissement et lance des travaux dans la route cotière en 1975. Des vestiges enfouis pourraient apparaître au jour, sait-on jamais ? Une surveillance des travaux s'impose. Elle nous est confiée parce que nous vivons sur place et que nous avons déjà fait d'autres travaux. Alors que nous suivons les travaux depuis des mois en vain, en 1976, face à l'école de voile de Toulin, un très grand fossé est recoupé par la pelleteuse : 2,5 m de profond sur 6 à 7 m d'ouverture sous la chaussée. Henri Poulain, dessinateur des antiquités préhistoriques, vient de Nantes faire un relevé. Il coïncide avec le notre.
Comment pourrait-il en être autrement ? La roche encaissante est claire et le remplissage du fossé noir. Le relevé est simple à réaliser comme ceux qui suivent. En effet, cinquante mètres plus loin, un groupe de trois fossés apparaît puis les fondations d'un bâtiment qui a subi un violent incendie et enfin le sommet d'un puits. Nous collectons les tessons de poterie, des charbons de bois. Jusqu'à la fin de cette première tranche de travaux, plus rien n'apparaît par la suite. Défendue par des falaises du coté de la mer et par des défenses impressionnantes que l'on revient de mettre à jour du côté de la terre, la pointe constitue ce qu'on appelle un éperon barré type de site défensif que l'on rencontre le long des côtes et des grandes vallées.
A notre grande surprise !
L'armée allemende n'a pas tout détruit. Il est donc possible que d'autres vestiges existent en profondeur dans les champs voisins. En 1977 et 1978, nous essayons de trouver dans les sept hectares de la pointe, comme une aiguille dans une botte de foin, des vestiges enfouis. Selon le voisinage, certains n'ont pas été labourés depuis 1937 au moins ; ils n'ont pas subi de perturbation en profondeur, à l'inverse de ceux qui ont été labourés par les engins aratoires les plus modernes. Près de dix sondages d'un demi m2 sont ouverts ; trois seulement donnent des indices interessants. En 1979 les deux plus interessants sont agrandis dans le cadre d'une fouille de sauvetage. 32 m2 sont explorés minutieusement à la main par niveau, de la surface au socle.
Ces fouilles commencent à lever le voile sur les lointains occupants de ce territoire. Les restes d'un fourneau de bronzier sont mis à jour, des traces de poteaux plantés et tout un lot important de céramique très fragmentée. Grâce aux analyses chimiques réalisées à Rennes I et à la datation par le laboratoire de Gif-sur-Yvette, on dispose de deux renseignements importants. Ils ont été obtenus grâce à la collaboration de deux chercheurs CNRS : Jacques Briard spécialiste de l'age du bronze (Rennes I) et Jean L'Helgouac'h spécialiste du néolithique à Nantes. Un échantillon montre du cuivre pur à 99% ; il provient vraisemblablement d'un lingot importé (d'Espagne par le golfe de Gascogne ? des Alpes par la vallée de la Loire ?) qui a servi à produire le bronze. La datation au 14C indique, en dates corrigées, une période comprise entre 700 et 400 ansavant notre ère. On y a fabriqué du fromage, filé et sans doute tissé, c'est une certitude.
En parallèle nous surveillons les nouvelles tranches de travaux publics ou privés de la pointe, mais, désormais les tranchées ne descendent plus à aussi grande profondeur et le fond des fossés ne peut être atteint.
La commune du Pouliguen élabore dans ces années son premier POS. Des grands projets publics et privés affectent le secteur archéologique. On prévoit une large avenue, des parkings et une urbanisation dense du secteur. Nous l'apprenons par hasard en conversant avec le Maire-adjoint Norbert Charrier. Si tout cela se réalise, rien ne demeura des vestiges qui viennent d'être redécouverts. Nous l'amenons sur le site et lui remettons nos rapports de fouilles. Il s'en ouvre au Maire le docteur Monville. Les élus municipaux du Pouliguen choisissent de protéger le site et de concert avec le service de l'archéologie de Nantes, demandent son inscription sur la liste supplémentaire des sites, classement obtenu en 1979.
Nous continuons nos recherches sur dans divers domaines : ainsi nous découvrons en 1980 une photographie conservée dans las archives de l'IGN datant de 1932 qui montre assez bien l'aspect du lieu tel que les pouliguennais le voyaient bien avant les arasements des occupants.
Il reste à nettoyer, classer, marquer, enregistrer tous les objets découverts puis à dessiner toutes les pièces remarquables : fragments de fonds de pot, de panses ou de col, pièces décorées... tout ce qui permet la reconstitution de la forme d'un vase par un dessin approchant la réalité.
Il convient ensuite d'analyser la céramique. Difficulté de l'époque : il n'y a aucun classement typo-chronologique ni aucune synthèse encore dans l'ouest pour les périodes qui nous interessent.
Première diffusion de la connaissance
Pour faire renaître le site dans la mémoire collective, pour expliquer aussi son inscription sur la liste de l'inventaire supplémentaitre des sites, il faut porter à la connaissance de la population les découvertes réalisées. Ce que nous faisons lors des expositions récurrentes sur le "vieux Pouliguen" ou à l'office du tourisme, lors d'interview dans les radios locales voire nationales, dans les journaux, les hebdommadaires locaux.
Les premières publications -sur les fossés- dans le bulletin de la société archéologique et historique de Nantes et de Loire-Atlantique, datent de 1981 ou 1982. Au fil des découvertes le site s'est révélé mieux conservé en profondeur et plus ancien que nous le pensions initialement. D'abord daté de la période gauloise (IIè et Iè siècles av JC), il doit être vieilli et remonte au VIè et Vè siècles av JC.
Les fouilles professionnelles
Il est interessant d'en savoir davantage sur le site. Bénévoles, nous pouvons au mieux consacrer seulement un mois de vacances aux fouilles car il faut ensuite réaliser soi même tout le travail décrit plus haut.
Des professionnels interviennent donc une première fois en 1984 et une seconde en 1986. Changement, les fouilles exigent désormais des fonds. En 1984 le service délègue un de ses administratifs qui vient quelques jours en janvier. Il ouvre un sondage d'une vintaine de m2 et ne trouve rien de neuf. Décevant !
En 1986, un chantier est organisé l'été sur plusieurs semaines avec un groupe de bénévoles logés, nourris et dirigés par un professionnel qu'il faut rémunérer. L'archéologie professionnelle s'organise dans les années 1980. L'AFAN (Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales) est fondée. L'AFAN évalue les coûts des fouilles, rémunère les fouilleurs. Ces archéologues sont de formation très diverse et ne sont pas spécialistes d'une période àl'inverse des chercheurs CNRS. Ce sont souvent d'anciens bénévoles. Les résultats des travaux de 1986 sont eux aussi décevants.
En 1991, net changement grâce à l'équipe de l'AFAN, dirigée par Luc Laporte. Durant trois mois, trois professionneles sont employés à plein temps sur le terrain. Un quatrième mois est rémunéré au chef de chantier pour la rédaction de son rapport. C'est la ville du Pouliguen qui paye la facture pour la première fois. Quatre très longues tranchées sont ouvertes au tractopelle qui mettent en évidence non pas quatre fossés mais cinq défenses successives, la plus ancienne est constituée d'une limite de grosses pierres, totalement enfouie sous les remblaiements postérieurs. Ces cinq systèmes défensifs sont bien conservés. Ils ne sont pas tous contemporains mais se sont échelonnés dans le temps jusqu'au Haut Moyen-Age.
L'occupation du site doit une nouvelle fois être nettement vieillie. Un fragment de vase Campaniforme a été trouvé : il s'agit là d'une culture de la toute fin du Néolithique (XXè siècle av.JC). Ses vestiges sont souvent découverts sur le littoral et sur les berges des fleuves, en des lieux protégés. Les populations de cet âge qui pouvaient pratiquer une forme d'échange, ont donc laissé une trace ténue de leur passage, l'essentiel de l'occupation datant des VIè et Vè siècles.
L'équipe de Luc Laporte, son travail terminé, est repartie mais nous, nous restons sur place. A notre question sur l'importance du site à l'échelle nationale, on nous répond à l'époque que : si on classait les sites archéologiques sur une échelle de valeur allant de 1 à 10, le n°1 représentant un site où on aurait seulement découvert un ou deux tessons de céramique ou deux ou trois silex, le n°10 représentant un site de la valeur de lascaux, le site du Pouliguen se situerait à la hauteur de 6 ou 7.
L'évolution de notre rôle à partir de 1983
Notre rôle a évolué depuis 1983. Cette année là, une réunion commune : service des fouilles, ville du Pouliguen et archéologues amateurs (nous mêmes), élabore un projet de mise en valeur du site. En utilisant les fortifications de la dernière guerre, enterrées ou subaériennes, on pourrait diffuser au près du public ce qui est connu du site et proposer un aperçu des forteresses cotières à travers le temps. Bonne idée qui ne se réalisera pas à cause des normes de sécurité.
En revanche le premier débroussaillage du talus depuis la guerre est effectué en 1984. Nous sommes sur place pour conseiller. A la demande du Directeur des Antiquités Historiques, nous rédigeons, pour un panneau qui doit être posé par la ville sur le site, des plans des coupes et des textes explicatifs tous approuvés ensuite par lui. Ce panneau aura rempli sa fonction quelques années mais n'a pas été remplacé car la recherche qui a suivi en 1991 a poussé plus loin les connaissances.
Nous travaillons sur le fourneau de bronzier à partir de 1984 et préparons une publication dans le bulletin de la société préhistorique française, une revue nationale diffusée à l'international. L'article paraît en 1986. Nous analysons aussi la céramique recueuillie et recherchons tous les indices pour un classement chrono typologique. La publication de ce travail en 1995, accompagne celui de Luc Laporte dans la revue archéologique de l'ouest, diffusée à l'échelle natuionale. Elle est due à l'initiative du service des fouilles de Nantes.
Un dernier travail sur Penchâteau nous occupe en 1999. Pour se représenter les conditions de vie des habitants de la pointe au sud du territoire pouliguennais dans les temps reculés du VIè et Vè siècles av. JC, nous avons étudié l'aspect que pouvait avoir alors le pays. Le niveau de la mer était plus bas que l'actuel et la configuration des côtes comme les dimensions du site étaient fort différentes de notre géographie du XXIè siècle ap. JC.
Les romains ne comptaient encore pas parmi les "grands". Des marins de la grande Grèce, venus d'Italie ou du sud de la Gaule, ou de l'Espagne carthaginoise venaient rechercher de l'étain sur les rives de l'Atlantique. Les traces de très lointains voyages d'échanges sont peu nombreuses : rappelons seulement le cuivre importé dont un échantillon a été recueilli dans le fourneau de bronzier. Les populations des civilisations celtiques du centre de la Gaule devaient emprunter les grandes vallées vers l'océan où l'on produisait le sel marin. On n'a pas trouvé de traces directes de ces échanges qui n'étaient pas encore commerciaux, la monnaie n'est apparue dans la péninsule armoricaine qu'au IIè siècle av. JC.
La tenue d'un colloque du CTHS à Nantes en 1999 nous a donné la possibilité de diffuser notre travail. La publication sur le site et la situation de Penchâteau aux VI7 et Vè siècles av. JC a eu lieu dans les actes de ce colloque publiés en 2002.
Ce fut notre dernier "chantier" sur Penchâteau. Depuis nous avons pris notre retraite aussi de l'archéologie.
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